Épisode 14 : Halidor est-il garanti?

Vendredi 27 juillet 18 

Épisode 14 : Halidor est-il garanti ? 

Arrivée au bureau en retard, ce lundi après le week-end cafardeux qu'elle venait de vivre, Maeata avait du mal à se concentrer ; elle se sentait fatiguée, elle ne parvenait pas à dépasser le malaise qui l’avait envahie à la suite de la fête organisée pour présenter Halidor à ses amis. 

Elle soupira en repensant au comportement d’Halidor lors de la danse avec changement de partenaires. Elle venait de téléphoner à l’hôpital où avait été admis l’animateur blessé par Halidor. À cause de son traumatisme crânien, les médecins du service de réanimation réservaient leur pronostic. Maeata avait joint immédiatement Madame Rêves sur Mesure pour lui signaler l’événement tragique. Celle-ci avait minimisé l’incident et avait cherché à rassurer Maeata :

– Ne vous inquiétez pas, cela aurait pu arriver avec un humain. Halidor n’est pas encore conscient de sa force physique mais il va apprendre, je suis certaine qu’il regrette son geste. Vous avez souscrit une assurance en béton, et quelques soient les séquelles du blessé, tout sera couvert par l’assurance. 

Maeata avait raccroché assez vite, elle avait trouvé que Madame sans Rêves faisait preuve d’une inhumanité déplaisante. Un doute la traversa après la conversation tant elle s’était montrée peu émotive : Madame Sans Rêves était-elle une femme humaine ou une femme robot ? Elle décida d’obtenir la réponse à cette question tout de suite et elle joignit MJ, l’amie qui l’avait aiguillée vers la boutique des copains. 

–  Salut copine, je me pose une question, es-tu certaine que Madame Sans rêves soit une personne humaine ? 

MJ resta sans voix puis répondit :

– Je ne me suis jamais posé la question mais vu son âge, je suis sûre que oui, elle a la bonne cinquantaine, les robots humanisés n’existaient pas à l’époque où elle est née. 

– Tu dis n’importe quoi, les robots ne vieillissent pas, peux-tu m’assurer que MSR n’a pas été créée à l’âge qu’elle a et qu’elle n’en a jamais bougé. Depuis quand la boutique des copains existe-t-elle ? 

– Deux ans, je pense, j’avais lu une annonce dans Rob-Elle, et je m’y suis rendue pour me renseigner, ensuite j’ai attendu quelques mois avant de passer ma commande, je ne connaissais personne qui y avait fait appel et j’avais très peur, mais je suis bien tombée, mon compagnon me donne toute satisfaction et il n’est pas agressif. 

– Halidor n’est pas du tout agressif, il s’est cru attaqué par l’animateur qui lui a saisi brutalement le bras, en outre, je pense qu’il a paniqué parce qu’il s’est retrouvé mis en face d’une attraction qui ne lui avait pas été enseignée, la danse avec changement de partenaires. Il est malheureux depuis samedi soir et passe son temps à s’excuser. La situation est très pénible.

–  Est-ce que tu es encore dans la période de garantie ? 

–  La période de garantie de quoi ? 

–D’Halidor, tu avais une période de garantie de combien de temps après la livraison ?

–  Je n’en ai pas.

–  Mais si voyons, tu as la garantie légale qui est de deux ans et en plus tu as peut-être souscrit une garantie complémentaire ?

–  Mais non je te dis, je n’ai pas souscrit de garantie. Je suis assurée pour les dommages qu’il peut provoquer, heureusement, mais je n’ai pas de garantie sur Halidor lui-même et quand bien même j’en aurais une, je ne me vois pas l’utiliser. Je n’aurais jamais le cœur à le rendre comme s’il s’agissait d’une vulgaire marchandise. 

–  Mais si, désolée de te contredire, Maeata, c’est une marchandise, Halidor, tu l’as commandé, tu l’as payé, ton fournisseur te doit la bonne marche de ton robot et à ta place, j’aurais alerté Madame Rêves sur Mesure. 

– Mais c’est fait, je l’ai eue au téléphone et elle m’a dit que tous les soins que nécessitera l’état de santé de l’animateur seront pris en charge par l’assurance.

–  Tu ne lui as pas demandé à ramener Halidor ?

–Mais non, je t’ai dit que je n’aurais pas le cœur à faire ça et puis que deviendrait-il ?

–  Ils ont un parc à robots, organisé comme les refuges de la SPA, les clients viennent y chercher des robots d’occasion. Tu vois, tu peux même rendre service à un client qui ne peut pas s’en offrir un neuf, donc tu as bien tort d’avoir des scrupules ! 

–  Mais je crois que je me suis attachée à Halidor, pour moi, il est comme un humain.

–  Tu as tort, il ne faut pas s’attacher, lui n’a pas de cœur humain, et malgré son apparence, il est et reste une machine.

–  Mais si tu voyais comme il est triste depuis samedi soir, tu ne parlerais pas comme ça. 

–  Il ne peut pas être triste, il peut imiter le sentiment de tristesse mais il ne peut pas le ressentir, arrête de laisser courir ton imagination. À mon avis, tu devrais le rapporter, il fait que tu apprennes à te pas t’attacher et si tu t’en sépares maintenant, pendant qu’il est encore temps et qu’il vient de commettre une grave faute, tu pourras en reprendre un autre et adopter une attitude plus distante, moins émotive. 

– Non, je n’y arriverai pas, je t’ai dit, je me suis attachée à Halidor.

– Bon, tête de mule, je te laisse, j’ai du travail, mais réfléchis et donne-toi un délai pour te rétracter pendant la garantie car ensuite, il sera trop tard et que feras-tu avec un robot perturbateur social ?

– Je n’en suis pas là.

– Je crois que tu n’as pas pris la mesure de la situation, Halidor a frappé un homme, cet homme est blessé et il aura des séquelles. En plus, j’ai peur que tu ne réalises pas l’impact de son comportement sur tes amis, moi, je peux comprendre parce que je sais d’où vient Halidor, mais les autres ? Comment veux-u qu’ils acceptent ce type de comportement violent ? D’ailleurs, tout le monde s’est enfui après cette histoire et le reste de ta soirée a été foutue. Allez, je t’abandonne, réfléchis, je te rappellerai dans deux jours, chao !

Maeata resta un long moment, la main agrippée sur son téléphone. Elle se sentait plongée dans une sorte de brouillard, elle se sentait perdue, ne sachant plus ce qu’elle devait faire ou ne pas faire. La journée passa lentement, et quand enfin, il fut l’heure de partir chez elle, elle n’éprouva pas le plaisir habituel de rentrer. Dehors, elle reprit le trottoir à pied et marcha mécaniquement, tête baissée.

À Suivre...Prochain épisode le vendredi 3 août 2018…