Vendredi 8 décembre 2017,
ÉPISODE 13 : EN VISITE À FONTENAY-LE-COMTE
– Je me rends à la demeure de Madame d’Arborville, est-ce
loin ?
– Vous êtes en voiture ?
– Non, je suis à pied, je débarque tout juste du car et j’ai
rendez-vous à onze heures.
– Onze heures ? Mais pour être à l’heure, il faudrait que
vous partiez de suite. C’est à vingt minutes à pied environ, vous longez la
grande place, vous quittez le plein centre et vous passez le long des anciennes
fortifications, ensuite ce sera un peu plus loin sur votre gauche.
– Dans ces conditions, je file dés que j’aurai terminé
votre savoureux croissant.
– Ah, c’est qu’elles sont bonnes, hein, nos viennoiseries.
C’est un ami à moi, qui les fait, il est boulanger tout prés d’ici et s’il vous
prend l’envie de goûter ses gâteaux, essayez donc son millefeuilles, jamais,
vous m’entendez, jamais de votre vie, vous n’en aurez mangé de pareil !
– Au moins, vous avez sauvé les bonnes choses, à défaut
du train
– Ah le train ! Cela fait un bail qu’il ne s’arrête plus
ici, l’ancien maire s’était battu pour, mais il n’y est pas arrivé et
maintenant qu’il est mort, on n’a aucune chance de le voir revenir,ni le train,
ni lui.
– Il était populaire ?
– Monsieur d’Arborville, c’est bien de lui que vous
parlez, eh ? Et comment qu’il était
populaire, au point qu’ici, je vous le dis en toute
confidence…Il s’arrêta de parler, jeta un coup d’oeil autour de Vétoldi et
poursuivit à voix basse :
– Ici, personne ne croit qu’il est mort de sa mort
naturelle. C’est Paris qui a décidé de ça, mais nous les Fontenaisiens, on n’y
croit pas. Monsieur d’Arborville, c’était un grand sportif,pensez, on le voyait
courir régulièrement. Il a même participé au marathon de Paris et il avaitdit
que l’année prochaine, il partirait pour celui de New York !
– Mais alors, il serait mort de quoi à votre avis ?
– Moi, je sans pas, mais ce que je pense, c’est que
quelqu’un l’aura aidé à mourir… Il n’avait pas que des amis…
– Vous lui connaissez des ennemis ici ?
– Ici, peut-être pas, mais à Paris… C’est pas bien vu d’être
pour que le Roi reprenne sa place. Bon, dites, c’est pas que je veux vous
chasser mais vous devriez y aller, vous savez, Madame d’Arborville, après ce qu’elle
a enduré avec la mort de son mari, elle apprécierait peut-être pas que vous
arriviez en retard, surtout si c’est pour lui créer des ennuis.
– Parce que vous pensez que je vais la voir pour lui
créer des ennuis ?
– Ma foi, je sais pas, je vous connais pas, mais vous
avez une gueule de journaliste, alors, avec les journalistes, il faut se tenir
sur ses gardes.
– Ne vous inquiétez pas pour elle, je ne suis pas
journaliste, je suis ethnologue, je mène une mission actuellement sur la vie
des députés.
– Une enquête sur la vie des députés eh bien, ça alors !
– Je vais y aller, je vous dois combien ?
– Laissez, c’est pour moi, c’est la première fois de ma
vie que je vois un ethnologue en chair et en os, ça se fête !
– Merci beaucoup, allez, à une autre fois.
Dominique Vétoldi sortit, ragaillardi par son échange
avec le cafetier, il suivit le chemin indiqué et allongeant le pas, il parvint
devant la propriété des d’Arborville à onze heures cinq.
La grille peinte en bleu royal était fermée. Il sonna. Le
portail s’ouvrit en grand comme s’il avait été en voiture. Il pénétra dans le
parc, au bout de l’allée se dressait une maison majestueuse, qui datait du 19°
siècle, un perron énorme et double desservait l’entrée principale. Il monta l’escalier
et arriva devant une lourde porte de bois peinte en bleu et ornée de lys
blancs. Il frappa à l’aide du marteau et tout de suite après, la porte s’ouvrit
sur une femme ravissante. Elle lui sourit.
– Bonjour Monsieur, entrez, je vous prie, vous avez
trouvé facilement ?
– Oui, avec Google, c’est facile.
– Ah oui, c’est vrai, je ne m’y fais pas, moi, je voyage
encore avec des cartes.
– Vous avez peut-être raison, il arrive que Google nous
fasse emprunter des chemins plus longs, surtout quand on est comme moi, à pied.
– Parce que vous êtes venu en train et autocar ? Vous
auriez dû me le dire, je serai allée vous chercher à Niort, le car est si long.
– Je vous remercie, mais mon trajet s’est bien passé et j’ai
pris le temps de prendre un café près la gare routière. Leurs croissants sont
absolument délicieux.
– Oui, ils se servent chez le meilleur boulanger
pâtissier et si vous goûtiez ses millefeuilles, vous seriez ébloui.
– Le cafetier me les a aussi vantés. J’essaierai tout à l’heure
si c’est encore ouvert.
– Bien, je suppose que vous n’êtes pas venu jusqu’ici
pour mener une étude comparative des croissants parisiens et fontenaisiens, je
propose que nous nous installions dans le bureau de mon mari, si vous n’y voyez
pas d’inconvénients.
– Ce sera parfait.
Elle s’engagea dans le couloir, puis elle poussa une
porte sur la droite. Ils pénétrèrent dans
une pièce de belle taille qui donnait sur le jardin.
Partout sur les murs, on pouvait voir le portrait des rois qui s’étaient
succédés sur le trône de France. Elle prit place sur le fauteuil qui se
trouvait derrière le bureau et l’invita à s’asseoir en face, ce qu’il fit.
– Bien, d’abord, je vous remercie, Madame, d’avoir
accepté de me recevoir alors que ces pénibles évènements sont encore récents.
– En fait, je ne réalise pas encore qu’Hugues ne
reviendra pas, que je ne le verrai plus. J’ai tout le temps l’impression qu’il
va surgir à tout moment, je viens souvent dans son bureau et j’ai l’impression
qu’il est là. Il m’arrive de le voir, comme s’il était vivant, je devine qu’il veut
me parler, j’essaie d’écouter ce qu’il voudrait me dire.
– Vous pensez qu’il souhaite vous parler ? Mais de quoi ?
De ce qui se passe au paradis ?
– Oh non, je pense qu’il veut me dire quelque chose à
propose de sa mort. Vous voyez, Monsieur, je pense que sa mort n’est pas tout à
fait naturelle. Une crise cardiaque n’arrive pas comme ça, brutalement. Hugues
a consulté un cardiologue, il n’y a pas longtemps, il lui a dit qu’il avait un
coeur de jeune homme et que c’était dû au fait qu’il fait beaucoup de sport. J’ai
l’intention de solliciter un rendez-vous auprès du président de l’Assemblée
pour lui demander de déclencher une enquête de police, j’aimerais en avoir le
coeur net.
Dominique Vétoldi se mordit les lèvres, il avait bien
failli laisser échapper qu’une enquête était en cours et qu’il en était chargé
; elle avait beau être tout à fait charmante, il ne pouvait l’exclure du cercle
des personnes susceptibles d’avoir assassiné son mari. Il demanda :
– Pour en venir au sujet que je dois traiter, j’aimerais
savoir comment vous organisiez votre vie entre Paris et ici ?
–En fait, j’allais peu à Paris. Hugues partait le mardi
matin de bonne heure, et il rentrait le jeudi soir sauf exception, par exemple
pendant la période du vote du budget où il lui arrivait de rester le vendredi,
et de partir le lundi, mais la période budgétaire, une fois terminée, il reprenait
son rythme normal. Il a été maire pendant très longtemps, donc, les jours où il
n’était pas à Paris, il s’occupait de sa ville. Il était très attaché à
Fontenay et ici, les gens l’aimaient beaucoup.
– Je sais que vous avez des enfants, leur consacrait-il
un peu de son temps ?
– Ce n’était pas toujours facile, mais nous les emmenions
en vacances et à ces moments-là, il les voyait beaucoup.
– Vous avez travaillé pour votre mari ?
– Pas réellement, il m’arrivait de le représenter quand
il avait un empêchement auprès des associations, des kermesses, de toutes
sortes de manifestations. Il avait plusieurs assistants, un à Paris et deux
ici. Mon mari était un gros travailleur. Il croyait à ce qu’il faisait et je
pense qu’il aimait ce qu’il faisait même si parfois, il disait qu’un jour il
arrêterait. Quand je pense que si…
Des larmes avaient perlé au bord des yeux bleus
magnifiques de Madame d’Arborville. Elle les retint et elle parvint à regarder
Dominique Vétoldi en face, en poursuivant sa phrase :
– Il avait envisagé d’arrêter, de ne pas se représenter
mais en voyant la tournure prise par les évènements, il n’a pas voulu laisser
la place au candidat du pouvoir actuel, une personne qu’ici personne ne
connaissait et qui sortait du chapeau du prestidigitateur. Excusez-moi, c’était le surnom qu’il lui donnait, le prestidigitateur. Je l’entends
encore me dire : Quand les gens vont
réaliser que cette politique n’est qu’une suite de tours de passe-passe, alors,
la révolte
éclatera. Il craignait cette
révolte et en même temps, il la souhaitait car il pensait que cette révolte
pourrait déboucher sur la restauration du pouvoir royal.
– Il vous arrivait de vous rendre à Paris ?
– Bien sûr, ne serait-ce que pour voir mes amies et aller
en leur compagnie voir des expositions. Je suis une ancienne élève des Beaux-Arts de
Paris, section peinture. Même si je ne peins plus, la peinture, celle des
autres, reste ma passion. Avant mon mariage, j’avais beaucoup d’ambition et
puis Hugues s’est lancé dans la politique et j’ai été absorbée dans le tourbillon
de sa vie. Il fallait bien quelqu’un pour assurer la bonne marche de la maison,
des enfants, bref quelqu’un pour faire tourner la famille. Ça ne tourne pas
tout seul une famille, surtout si on veut qu’elle dure plus qu’un moment.
– Étiez-vous à Paris le jour de la mort de votre mari ?
– Oui et non, j’étais à Paris, mais le matin de sa mort,
je ne l’ai pas vu, il est parti très tôt avant que je ne me lève ;
heureusement, la veille, j’avais passé du temps avec une amie, nous étions
allées voir deux expos et le soir, et j’avais dîné avec mon mari. En fait, je
devais déjeuner avec lui, mais il m’a téléphoné le matin, pour annuler notre
rendez-vous, ce qui fait que j’ai pris le train du matin.
– A quelle heure avez-vous pris votre train ?
– Écoutez, je ne sais plus… Mais je ne comprends pas
pourquoi vous me posez cette question, qu’est-ce que ça a à voir avec la vie
des députés ?
– Excusez-moi, je ne voulais pas me montrer indiscret. Ce
que je constate, c’est que votre mari, ce jour là, a modifié ses engagements
envers vous et peut-être ce fait se produisait-il fréquemment ?
– Oui, ça arrivait souvent, il y était contraint parce
que les réunions à l’Assemblée changeaient souvent d’heure et son travail était
prioritaire. Je ne saurais compter le nombre de fois où son déjeuner de
vendredi midi restait sur la table, à l’attendre lorsqu’il était pris par autre
chose.
– Il ne vous prévenait pas ?
– Non, il n’en avait pas le temps.
– Donc, la vie de député de votre mari bouleversait votre
vie à vous et la vie de vos enfants ?
– Oui, c’est cela la vie publique, mais ce n’est
certainement pas pire que la vie des artistes. Regardez la vie de Johny par
exemple. Les tournées, les interviews…Vous avez déjà mené une enquête socio,
non excusez-moi, ethnologique sur les chanteurs ?
Dominique Vétoldi sourit à cette idée. Il se demandait
quelle casquette il lui aurait fallu coiffer pour mener ce genre d’enquête…
– Vous avez fait allusion tout à l’heure au fait que
votre mari avait des ennemis à Paris, vous pouvez m’en dire davantage à ce
sujet ?
– Il était à la tête du groupe des Royalistes à l’Assemblée,
vous pouvez imaginer ce que les autres groupes politiques, tous Républicains,
pouvaient dire de lui. Disons que ce n’était pas toujours tranquille à l’Assemblée
pour lui et que quand il posait une question ou avait la parole pour une
intervention, il se faisait siffler, moquer de lui. Il a même entendu un député
une fois, dire : Coupez-lui
la tête !
– Il était Royaliste depuis toujours ?
– Mon mari avait des ancêtres qui s’étaient battus contre
les Révolutionnaires. Il était
convaincu que le meilleur Régime pour la France était la
Royauté. Il citait souvent en exemple le Roi de Suède, la Reine de Norvège et il disait
que les gens étaient beaucoup plus heureux dans ces pays que chez nous. Il
voulait le bonheur du Peuple et il pensait que, contrairement à la Royauté, la
Démocratie n’a pas pour but le bonheur des Peuples et qu’elle suscite et attise
les haines. Enfin, je me demande comment ses ennemis d’hier, réagissent devant
sa disparition.
– Je me suis laissé dire qu’il était plutôt apprécié par
les députés qui étaient anciens comme lui et en outre, il était au mieux avec l’actuel
Président de l’Assemblée ;
– Oui, c’est amusant, ils étaient au lycée militaire
ensemble, François-Xavier était son aîné de trois ans. Je suis certaine qu’il a
de la peine, il m’a d’ailleurs écrit un mot très gentil en me disant que si j’avais
besoin d’aide, il ne fallait pas hésiter à demander et qu’il ferait tout ce qui
était en son pouvoir pour me contenter. Je ne l’ai pas encore fait mais je vais
peut-être le faire. J’en reviens à ce que je vous disais tout à l’heure, je ne
crois pas à la mort naturelle de mon mari, d’autant plus qu’on ne m’a toujours
pas rendu son corps, en prétextant que les analyses n’étaient pas terminées. Je
me demande ce qu’il cherche et plus le temps passe et plus je me demande s’il n’a pas été empoisonné. Elle était tout sauf
idiote, cette femme. Ravissante et intelligente, il avait eu de la chance, Hugues
d’Arborville. Dominique Vétoldi ne voyait plus ce qu’il pouvait dire et de peur
de se dévoiler, il préféra mettre fin à leur entretien. Après avoir remercié
Madame Huguette d’Arborville, il reprit le chemin de la gare et en
passant devant la fameuse pâtisserie, il s’arrêta et s’offrit un millefeuille
qu’il se promit de déguster dans le train.
À suivre…Prochain épisode le
vendredi 15 décembre 2017
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