MEURTRE D'UN PROMOTEUR BRETON - ÉPISODE 2

2- Gendarmerie, Le Palais, Identification du mort

Photo : Locmaria, Office de tourisme de Belle-Ile, https://www.belle-ile.com/

3 août 2019, Le Palais, gendarmerie. 

          Ce matin, lendemain de la découverte d'un corps sur la plage du Donnant,  le capitaine Kervadec a sous  les yeux, le rapport du TIC.

Le corps est celui d’un homme âgé d’environ cinquante ans.

Cause du décès : Suites d’un coup porté, avec une grande violence, à l’arrière du crâne à l’aide d’un objet contondant. Le corps a ensuite été jeté à la mer.

Datation du décès : Environ un mois auparavant

À son rapport transmis par mail, le technicien d'identification criminelle, Justin Lemoine, a ajouté un mot personnel à l'adresse du capitaine : L'autopsie nous en dira plus. Ravi de vous avoir rencontré. Au plaisir de vous revoir.

Hum, au plaisir de vous revoir... Yves Kervadec n'est pas certain d'approuver cette formule. Certes, Justin Lemoine est sympathique et paraît connaître son boulot, mais de là à souhaiter une rencontre prochaine, il y a de la marge. Les assassinats ne sont pas monnaie courante sur l'île, et heureusement.

Maintenant que le crime est certain et qu'il possède une indication sur la date approximative du décès, il lui reste à identifier le mort. 

Kervadec consulte le fichier des personnes déclarées disparues au cours des deux derniers mois, au mois de juin et de juillet dans le département du Morbihan. Il effectue un premier tri en fonction de l’âge des disparus, cinq pourraient correspondre au noyé. Il compare ensuite les photographies du mort avec celles des disparus. Bingo, il a l’identité du mort. Pas la peine d'attendre la confirmation de la CIC.

L'homme s'appelle Giovanni Colombo. 

Disparition signalée le 28 juin 2019, au large de l’île d’Hoëdic. Vu vivant, pour la dernière fois, à bord de son voilier, par un plaisancier qui mouillait à ses côtés, dans le port de la Croix, sur l'île d'Hoëdic.

Marié, père de quatre enfants, deux garçons, issus d’un premier mariage, âgés de vingt-huit et vingt-cinq ans, et deux autres enfants, une fille et un garçon, nés d’une deuxième union, âgés respectivement de cinq ans et de six mois.

Profession : Promoteur immobilier.

Nom de l’entreprise : Garboria Constructions.

Kervadec murmure :

— Garboria... Mais oui bien sûr... Je vois qui c’est, ça me revient maintenant, je l’ai verbalisé l’été dernier, alors qu’il prétendait poursuivre les travaux sur un chantier, allant ainsi à l’encontre des textes d’urbanisme locaux de Belle-Ile, qui interdisent tous les travaux de construction durant le mois d’août.

Kervadec a gardé un très mauvais souvenir de son altercation avec cet homme. Il s’était rendu sur place, après l’appel d’une voisine du chantier, lui signalant le bruit infernal déclenché par la bétonneuse qui avait démarré dès sept heures du matin. Alors qu’il s’attendait à rencontrer l’entrepreneur habillé en vacancier, genre bermuda et polo en coton à maille abeille, il avait été surpris de le retrouver vêtu d’un costume gris clair, au pantalon à pli impeccable, assorti d’une chemise blanche à manches longues. Furieux de la présence du capitaine, l’homme, au lieu de se montrer conciliant, avait tenté de l’intimider en menaçant de faire intervenir un de ses puissants amis pour obtenir sa mutation. Kervadec, habitué aux pressions exercées parfois par certains habitants, haut placés, mais saisonniers, de Belle-Ile, ne s’était pas laissé démonter, et il s’était contenté de répondre qu’il ne faisait qu’appliquer les textes et que nul, pas même lui, n’était autorisé à s’y soustraire.  Giovanni Colombo était devenu rouge cramoisi et avait murmuré :

— Vous aurez de mes nouvelles !

 Oui effectivement, aujourd’hui, il a de ses nouvelles, et elles ne sont pas bonnes. Pour autant, ce n’est pas le capitaine Kervadec qui s’est vengé en le tuant, et une enquête devra déterminer qui est l‘auteur du coup qui l'a envoyé ad patres. D’un autre côté, vu le comportement qu'il a montré à son égard, il est évident qu’il s'était fait quelques ennemis.

Le capitaine sort le dossier des constructions récentes et nouvelles que le président de la communauté de communes de Belle-Ile lui a transmis. Trois d’entre eux correspondent à Garboria Constructions, l’entreprise de ce Colombo :

Un lotissement  de maisons locatives à Bangor, une maison particulière à Port Coter, un hameau de Locmaria, et l’immeuble situé  sur le quai du port du Palais, là où s’était déroulée leur rencontre.

La maison de Port Coter attire particulièrement son attention, en effet, il remarque que la demande de permis de construire a été déposé en 2016 et que les travaux viennent seulement de se terminer, permettant aux propriétaires d’emménager pour l’été 2019. Immédiatement et même s’il sait que compte tenu du caractère meurtrier du décès et de la notoriété du mort, l’enquête lui sera retirée un jour ou l'autre, Kervadec appelle le maire de Locmaria.

— Bonjour Louis, nous avons retrouvé le corps d’un individu que tu connais certainement, un nommé,  Colombo Giovanni,  j’ai le dossier de la maison de Port Coter sous la main, ça te dit quelque chose ?

— Et comment que ça me dit quelque chose ! Ce Colombo, je me suis accroché avec lui dès le début, car j’avais refusé le permis de construire de sa maison. Il est venu à la Mairie sans me prévenir et il a provoqué un véritable esclandre. Je ne me suis pas démonté car le terrain se situait à ce moment-là, en zone protégée, je le lui ai dit, et j’ai pensé que l’affaire était classée, mais ce n’est pas ce qui s’est passé ; à force d’interventions plus ou moins claires, ce terrain s’est retrouvé en zone constructible et le permis de construire a été accordé par le préfet. Je n’ai pas voulu le contester devant le tribunal administratif, j’avais compris que je me serais attaqué à trop forte partie. Bonjour l’indépendance des maires et autres autorités locales.

— Je comprends, et vu le comportement qu'il a eu avec moi, notre Colombo se pensait au-dessus des Lois ; eh bien, l’enquête ne sera pas facile… Merci, à bientôt

— Capitaine, vous me tiendrez au courant, car je pense qu’on ne me dira rien.

— O.K., mais dans la mesure où je saurais quelque chose, car moi aussi, je pourrais être tenu à l’écart, si le mort a des amis aussi influents que ce qu'il prétendait et que démontre ce qui est arrivé chez toi.

— Si un enquêteur est nommé, il sera obligé de vous demander des infos, c’est vous qui connaissez le terrain, ce n’est pas le cas de celui qui débarquera de la cellule de recherche et d'investigations.

Kervadec raccroche, il a une hésitation, va-t-il appeler le procureur pour savoir si oui ou non, un enquêteur a été nommé ? Le jour où le noyé a été découvert, ce n’était pas lui qui était présent sur la plage, c’était la vice-procureure, une jeune femme charmante au demeurant, mais le capitaine Kervadec a toujours des difficultés à associer certains qualificatifs comme jeune, jolie et compétente...