Bonjour, cher lecteur et chère lectrice !
Je vous ai promis une nouvelle pour la rentrée. J'ai un peu d eretard car j'ai eu une longue panne de box internet... Merci SFR !
Vous vous attendez sans doute à une nouvelle policière ? Eh bien, non, c'et une bleuette pour vous faire penser aux aventures estivales...
MIDI-DEUX
AU LUXEMBOURG
Il souffle un vent de liberté en plein été, même à Paris ! Un homme et une femme se rencontrent dans le jardin du Luxembourg. À la mi-temps de leur vie, ils ont chacun leur histoire, auront-ils une histoire commune ?
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Fin août…
À peine mon premier café avalé, je regardai dehors. Un pigeon s’était posé sur le rebord du balcon. Ses plumes luisaient, il transpirait, lui aussi. Si même un pigeon…
Vêtue de mes seuls sous-vêtements, j’ouvris la fenêtre et l’oiseau s’envola. L’air déjà chaud me sauta à la figure. Je refermai bien vite et tirai le rideau, bien décidée à sauver le peu de fraîcheur de la nuit. J’enfilai ma robe de coton rouge et mes claquettes, plongeai dans les
bouquins qui attendaient la lecture et par flegme, choisis le premier de la pile.
Après avoir saisi mon sac d’été, je claquai la porte de mon appartement derrière moi et dévalai les quatre étages.
En bas de mon immeuble, le trottoir était désert, j’empruntai la rue Vavin en direction du jardin du Luxembourg. La petite porte donnant sur la rue d’Assas était ouverte. Je me mis en quête d’un endroit ombragé où je pourrais lire tranquillement. J’évitai soigneusement les alentours du bassin où tout à l’heure, les bambins galoperaient en surveillant leurs petits bateaux.
Je parvins ainsi à un de mes refuges préférés, un bosquet. En pensant aux longues heures que j’allais passe en ce lieu, je m’installai sur un fauteuil et étalai mes jambes sur un autre.
C’était parfait, les rayons du soleil épargnaient ma tête et caressaient mon dos.
J’ouvris mon livre, mes yeux suivaient les lignes imprimées, mais le retour cerveau se faisait avec difficulté, car quand midi sonna au loin, je n’avais parcouru tout au plus que quelques pages. Le soleil était maintenant chaud et mes jambes s’engourdissaient. Les yeux mi-clos, je songeai à me déplacer au moment où une voix étrangère m’interrompit :
— Puis-je vous emprunter un fauteuil ?
J’ouvris les yeux plus complètement. Un homme d’une quarantaine d’années me faisait face, j’esquissai un sourire contraint et acquiesçai à sa demande en ôtant mes jambes :
— Bien sûr.
L’homme me remercia, puis il s’assit à cheval sur la chaise, les bras appuyés sur le dossier. Je me replongeai ostensiblement dans mon roman. Une douce torpeur m’avait envahie quand j’en fus sortie par mon voisin :
— C’est agréable, Paris au moins d’août, vous ne trouvez pas ?
Je réfléchis, une seconde. J’avais encore le choix : avais-je envie de rentrer dans son jeu ?
Je pouvais encore m’échapper, l’envoyer promener, partir, m’enfuir. Je le regardai plus
attentivement et parce qu’il me parut plus que normal, j’approuvai :
— Oui, très ! J’adore rester ici pendant les vacances d’été. On a une impression de liberté incroyable ! La ville rien qu’à nous, nous les quelques parisiens égarés parmi les touristes.
— Ah,parce que vous restez à Paris alors que vous êtes en vacances ? Moi, je ne pourrais pas. Je travaille en ce moment et je n’ai pas le choix. Au Ministère de l’Économie et des Finances, nous avons le budget sur le feu.
Surprise, je le détaillai. Correspondait-il au métier qu’il venait d'énoncer ? Avait-il l’allure d’un fonctionnaire type, d’un de ces gratte-papiers qui nous inondaient de leurs directives ? Je pensais immédiatement à ma lutte annuelle avec ma feuille d’impôts. Des relents de cruauté et de vengeance me traversèrent l’esprit. Je détaillai ses vêtements. Un complet de tissu gris avec des raies plus claires, une chemise bleue et une cravate dont il avait desserré le
nœud. Oui, il correspondait à un fonctionnaire des finances. En outre, sa veste jetée sur le dossier laissait apparaître la transpiration de ses aisselles. Je n’avais pas touché ses mains, mais je pouvais parier sur la tête de ma mère qu’elles étaient moites. Quant à son visage, il avait des joues rondes et des yeux d’un bleu intense. Bizarrement, ses cheveux ne cadraient pas avec le
reste. Il avait des cheveux abondants et une mèche qui avançait sur son front qui laissait présager
une calvitie sous-jacente, fréquente dans son milieu. Je souris à cette pensée, sourire qu’il prit pour une invitation à poursuivre la conversation :
— Qu’est-ce que vous lisez ?
— Bof, des nouvelles, mais avec le soleil et la chaleur, je ne suis pas très concentrée et avec
vous en face en plus !
Ses joues virèrent d’un léger rose au brique :
— Excusez-moi, mon intention n’était nullement de vous importuner, et de toute façon, je vais devoir retourner à Bercy.
Il fit mine de se lever et un brin sadique, je l’avoue, je décidai de le retenir un peu :
— Vous ne me dérangez pas vraiment et si cette histoire m’intéressait réellement, il y a un bon moment que je l’aurais terminée. Alors, comme ça, vous travaillez à Bercy ? Est-ce que les bureaux sont confortables ? Parce que vu de l’extérieur, le bâtiment est plutôt laid et puis, dites, ça ne vous fait pas trop loin de venir jusqu’ici pour votre pause déjeuner ?
— Au mois d’août, c’est rapide. Je prends le bateau bus, puis je remonte depuis le quai. Ce n’est pas d’hier que Je viens ici. Je cultive d’anciennes et agréables habitudes et ainsi, je croise des passants que je connais de vue. Vous, je ne vous ai jamais aperçue, c’est votre première année ?
— Oui, je suis en première année de promenade au Luxembourg et je compte bien passer en deuxième année, mais j’ignore si mes résultats seront suffisants. J’ai opté pour le contrôle continu. Dites, vous êtes au moins docteur es-Luxembourg depuis le temps que vous
venez ? J’aimerai bien connaître votre spécialité ?
Il eut le bon goût d'entrer dans le jeu :
— Vous avez mis en plein dans le mille ! Je suis spécialiste des fleurs, les vraies et les autres, notamment les jeunes femmes en fleurs. Les premières années, je m'intéressais plus particulièrement aux boutons, puis j'ai évolué et depuis que j'ai fêté mes quarante ans, je m'intéresse aux fleurs et plus du tout aux boutons.
— Vous allez continuer comme ça à changer de goût avec l ' âge ? Après cinquante ans, on vous verra vous pencher sur les fleurs en passe d'être fanées, et après qu'est-ce que vous ferez ?
— Cinquante ans ! Oh non, je compte bien poursuivre bien au-delà ma spécialité horticole. Voyez-vous, j'aime non seulement observer, admirer les fleurs, mais j'aime aussi leur parler, les cueillir quand elles sont d’accord, les emporter avec moi si elles acceptent. Je
m'adonne à l'art des bouquets, c'est mon côté japonisant. À propos, que diriez-vous d'un diner en tête à tête pour poursuivre notre charmante conversation ?
Il avait balancé le dossier de sa chaise et son visage se retrouvant tout près du mien, je sentaisson souffle agréablement mentholé. Je souris :
— Dîner avec vous ? Hum ! Diner d'emblée avec un inconnu, c'est diablement compromettant.
Je m'interrompis un moment, je le regardai droit dans les yeux, il souriait, seule une rougeur persistante le trahissait, je continuai :
— Entre nous, ça m'amuserait de savoir ce qui vous a fait croire que je pourrais accepter votre proposition ? N'ai-je pas l'air d'une femme super-sage ?
— Sage ? Quel drôle de mot ! C'est un mot pour qualifier une collégienne que vous n'êtes plus depuis belle lurette ! Je dirais plutôt sérieuse. V oilà le mot adéquat, mais justement, je ne drague pas n'importe qui. Le sida, ça rend sélectif. J'ai tout de suite deviné que vous étiez une femme sérieuse, vous portez une robe malgré la chaleur. Regardez autour de vous, toutes ces filles dénudées qui exposent les cuisses, la poitrine et le ventre à l'air. Si vous croyez que ça me donne envie d'en voir plus ! V ous êtes différente, et puis, le livre aussi. Quand je vous ai vue, je me suis dit : V oilà une mère de famille, les enfants sont en vacances avec leur père, elle est sans doute divorcée, séparée,bref libre,pourquoi ne pas tenter ma chance? C'est mieux que de passer une petite annonce, on peut juger sur pièces au lieu de s'emballer sur des mots et ensuite d'avoir à affronter une réalité qu'on était loin d'imaginer.
— Comme vous y allez ! Juger sur pièces ? V ous n'êtes pas à la foire aux bestiaux de Château-Chinon ! Quand vous me zieutez comme vous le faites, j'ai l'impression que vous me jaugez comme si j'étais une vache ! Mes mensurations, vous les voulez ? Les voilà : 90-60-90, taille, 1 mètre 73. Couleur des cheveux, châtain tirant sur le roux, yeux verts, quelques rides d'expression qui se voient davantage quand j'ai mal dormi. Peau blanche, taches de rousseur, parfum d'été Révillon parce qu'il ne contient pas d'alcool et que c'est une marque de fourrure et que l'alcool, ça donne des taches brunes sur la peau, et que la fourrure, c'est tout doux. Le malheur pour vous, c'est que je ne suis pas à vendre, ni à louer, ni même à emprunter !
Je me mordis les lèvres, les mots se bousculaient dans ma tête et je les débitais sans réfléchir et je poursuivis :
— Désolée, mais le plaisir de mes vacances, c'est de savourer ma solitude. C'est un temps où j'aime vivre à. l'envers. Toute l'année, c'est la course ! le boulot, les mômes, le mari, le pain, le lait, les vaccinations, les œufs, le beurre, le fromage, les fruits, la musique, le sport, les rhinos, et les je ne sais quoi d’autres… et par là-dessus, le week-end à la campagne pour que leurs poumons ne s'atrophient pas complètement ! Je n'ai de temps pour rien et surtout pas pour moi ! Alors, depuis ce premier jour où ma petite famille adorée mais quelque peu encombrante a embarqué dans la voiture paternelle, je savoure chacune des heures qui défile lentement, si lentement que je parviens à en déguster chaque minute qui s'écoule !
Le passager du Luxembourg me regardait, mais ne ripostait pas, ne sachant sans doute pas comment renouer le fil, aussi ajoutai - je :
— Peut-être que vous ne pouvez pas comprendre ce besoin de vivre mes vacances, seule.
— Comprendre ? Est-ce le mot qui convient ? A chacun d'exprimer sa liberté, mais vous ne vous ennuyez jamais ?
— M'ennuyer ? Ah, non, jamais ! Quand pourrais-je m'ennuyer, ça passe si vite ! Il m'a fallu une semaine pour me couper de mes contraintes, pour réaliser que j'étais libre. Ensuite, bizarrement, la deuxième semaine, je me suis sentie entre deux états, femme-mariée-mère-de- famille-prisonnière-de-son-devoir et femme libérée de tout joug, puis, la troisième semaine, est arrivée la période d'équilibre. En ce moment, tout ce que j'entreprends me procure du plaisir, un plaisir inouï, d'une intensité incroyable, totalement démultiplié. Une promenade ? Je vois ce que je ne vois pas pendant le reste de l'année, j'entends des bruits jamais entendus. Un gâteau dévoré en pleine rue, une glace pourléchée tout autour, une séance de ciné quand je veux, où je veux, avec qui je veux. Tout revêt des couleurs différentes. Un sentiment inconnu me gagne peu à peu, que je ne saurais même pas nommer. Les derniers jours arrivent maintenant, je me réjouis
de revoir ma petite famille, mes petits chéris, les revoir enfin, après ce manque, cette absence que je ressens parfois soudainement et qui me rend presque fébrile. La joie de les voir, de les toucher, de les sentir là, à côté de moi, contre moi, de caresser leurs cheveux, de presser leurs corps contre le mien, d'écouter le récit de leurs exploits. Au moment des retrouvailles, ce brouhaha joyeux des sacs qui se défont, les machines à laver qui s'enchaînent, et bientôt, la rentrée qui se profile. Puis, la vie de tous les jours qui reprendra ses droits avec son cortège
morose. Mon drame c'est que je ne sais pas m'organiser, je perds réellement beaucoup de temps. Je crois que je n'étais pas faite pour avoir des responsabilités. À vrai dire, je ne les ai pas cherchées, ce sont elles qui me sont tombées dessus à l'improviste, comme sur une proie facile à exploiter. Si je ne fais pas face, je me mets à méga culpabiliser, vous comprenez ce que je veux dire ? Non, vous ne comprenez pas, je vous excuse, vous êtes un homme. Si vous aviez... disons, vingt ans de moins, oui, c'est ça, vingt ans de moins, il
y aurait peut-être une chance et encore, ce ne n'est même pas certain... Cela dit, n'exagérons rien, maintenant que mes enfants ont enfin grandi, ma vie s'arrange, je vais conquérir un jour la
liberté qui m'a tellement manqué. Le sentiment de liberté, c'est pour moi le comble du luxe !
Je tressaillis, voilà que je me livrais à cet inconnu, cet homme-là, devant moi. En en prenant conscience, je l'observai tout à coup, en face de moi, l’air incrédule, s'efforçant de soupeser me paroles pour savoir ce qu'il devait en faire, ce qu'il pouvait conclure de mon discours. Je devinais sans peine les pensées qui défilaient dans son esprit, je distinguais l'expression incertaine de son regard, aussi je choisis de le rappeler à son devoir :
— Monsieur, ne serait-il pas temps pour vous, de revenir à votre bureau ?
Cette phrase ultra-prosaïque eut un effet instantané, il me regarda l'air légèrement hébété, puis, rouge à la fois de confusion et de je ne sais quoi d'autre, il me dit, en enfilant sa veste et en jetant un coup d'œil à sa montre :
— Mais c'est que vous me faites perdre la tête ! J'en ai oublié l'heure! Vous avez raison, il faut que je parte, mais on ne peut pas se quitter comme ça, j'ai envie de vous revoir, de poursuivre notre conversation, je vous invite ce soir à dîner, ça vous va ?
Je restai un court instant, silencieuse, en cherchant les mots qui adouciraient la franchise de ma réponse :
— Non, désolée, vraiment, je ne pourrais pas, non pas ce soir.
— Demain alors ?
Son regard brillant m'implorait. Pour un peu, il serait allé jusqu'à me dire que j'étais l'amour de sa vie. Je restai de marbre et avec le maximum de fermeté dont j'étais capable, je m'exclamai :
— Non, demain, c'est impossible !
Sa déception était visible :
— Mais alors, quand ? V otre soir sera le mien, je m'arrangerais, je vous en prie, j'ai tellement envie de vous revoir !
— Non, je ne peux pas et je ne pourrai pas.
Je faillis ajouter les raisons pour lesquelles je refusai de céder, mais à quoi bon ? il ne pourrait pas comprendre et je n'avais pas à me justifier. Devant ma détermination farouche, il n'insista pas, mais je le vis fouiller la poche intérieure de sa veste, en sortir son agenda, dont il retira une carte de visite qu'il me remit :
— Appelez-moi quand vous voulez, sur mon téléphone mobile. Il vous suffira de me dire :
Je vous ai rencontré au Luxembourg un jour du mois d’août. Votre jour sera le mien, même si l'été ne sera plus qu'un souvenir.
Il s’arrêta, puis acheva sa phrase dans un sourire qui éclaira ses magnifiques yeux bleus :
— Un excellent souvenir, du moins, je l'espère, car pour moi, ce le sera.
Il m'a souri, puis il s'est éloigné, il s'est retourné au détour de l'allée, m'a adressé un signe de la main, et il a disparu. Je suis restée un long moment à tourner et retourner sa carte dans mes mains sans me décider à la lire, puis je l'ai glissée dans mon sac, mon sac d'été en jonc tressé...
J'ai allongé mes jambes sur le fauteuil qui me faisait face et je me suis endormie. Pendant mon sommeil, un homme s'est approché de moi, m'a doucement embrassée sur la bouche, j'ai
entrouvert mes lèvres et je lui ai rendu son baiser.
Quand j'ai repris mes esprits, le ciel s'assombrissait, des gardes tournaient dans le Luxembourg pour en chasser les promeneurs, avant la fermeture du jardin pour la nuit. Je me suis levée comme une automate, j'ai rangé mon livre dans mon sac, je suis revenue lentement vers mon appartement, abrutie de chaleur et engourdie par ma longue immobilité. Mes jambes fourmillaient alors que je leur demandais de marcher. Une fois chez moi, j'ai posé mon sac dans la
cuisine, j'ai ouvert le réfrigérateur, les clayettes affichaient un vide sidéral. J'ai regretté furtivement d'avoir refusé l'invitation à dîner de l'inconnu aux yeux bleus. Pour penser à autre chose, je suis passée sous la douche. L'eau fraîche a ruisselé longuement sur mon corps, je me suis sentie mieux, j'ai enfilé un jean et un t-shirt. Je me suis souvenue que je n'avais rien avalé depuis un paquet d'heures, j'ai fouillé dans mon sac pour prendre mon porte-monnaie, il ne s'y
trouvait pas. Qu'en avais-je fait ? Quand j'étais partie au Luxembourg, il était dans mon sac, j'en étais certaine ! On me l'avait donc dérobé ? Pendant que je dormais ? Pendant que je ? Je suis
devenue toute rouge, mais non, ce n'était pas réel, je savais que j'avais rêvé cette scène ... Quelle tête avait l'homme dans mon rêve ? Oui, évidemment, celle de l'inconnu du Ministère... ses traits se dessinaient nettement dans mon souvenir... Ses yeux bleus surtout restaient gravés dans ma mémoire... Je chassai cette image et cherchai mon porte-monnaie de secours, je le saisi, puis partis vers le magasin du boulevard Montparnasse qui était ouvert tard. Là, j'achetai ce qu'il me fallait pour diner. De retour chez moi, je mélangeai les divers ingrédients pour monter ma salade, ajoutai des morceaux de chèvre frais, des herbes, fis griller du pain, puis dégustai. Le saladier y passa intégralement. Ensuite, je me suis mise au lit avec mon livre, que j'ai terminé avant de me décider à éteindre. Au petit matin, quand je suis allée dans la cuisine préparer mon
premier café, j'ai poussé du pied mon sac en jonc qui traînait là, vide. Après mon petit-déjeuner, je l'ai remisé dans le haut de mon placard à vêtements, puis, j'ai décidé de me priver du Luxembourg, j'avais trop peur de revoir l'inconnu et de lui dire oui si je le revoyais aujourd'hui. J'ai traîné toute la journée sans savoir trop comment m'occuper. J'ai inspecté la chambre de mes enfants, j'ai trié leur trousse et j'ai préparé un papier où j'ai écrit ce qui leur manquait. J'ai vérifié que les paniers à linge étaient vides, que je n'avais pas de repassage, que l'appartement était en ordre et que tout était prêt pour leur retour. Rassurée, j'ai consulté mon agenda, plus que deux jours avant leur retour. Le téléphone sonna, je décrochai et une voix que je ne reconnus pas sur l'instant murmura :
— Je ne vous dérange pas ? J'aimerais vous revoir, j'aimerais parler avec vous, je ne veux
pas qu'on se quitte ainsi ! Ce serait trop dommage ! De toute façon, même si vous ne souhaitez
pas me revoir, vous y êtes obligée, j'ai quelque chose à vous rendre !
Je suis restée sans voix, j'avais du mal à admettre la réalité de ce que j'entendais, c'était bien l'inconnu du Luxembourg qui à cet instant, m'appelait ? Mais comment cela était-il possible ?
Je m'exclamai mi-furieuse, mi-intriguée :
— Je ne comprends pas. Vous ! C'est vous ? Comment vous êtes-vous procuré mon numéro de téléphone ? Je ne me souviens nullement de vous l'avoir donné ou alors, j'ai un début
d'Alzheimer !
— Non, c’est exact, vous ne me l'avez pas donné. Je ...j'ai ...
Visiblement, il hésitait, puis il a dit très vite :
— Je crois m'être très mal conduit, j'espère que vous ne m'en voudrez pas trop. Après mon départ, en réalisant que je n'avais même pas votre numéro de téléphone, je suis revenu pour vous demander vos coordonnées, et quand je suis arrivée près de vous, vous étiez dans les bras de Morphée, je n'ai pas eu le cœur de vous réveiller, j'ai jeté un coup d'œil dans votre sac en pensant y trouver une carte de visite, mais il n'y en avait pas, alors j'ai pensé qu'il y en avait sans doute une dans votre porte-monnaie. Je suis désolé, je n'aurais jamais dû agir ainsi, j'ai été pris d'une impulsion tellement soudaine, tellement forte, je n'ai pas du tout réfléchi. Je vous présente toutes mes excuses, vous me pardonnez ?
Je me suis à moitié étranglée de stupéfaction et j'ai balbutié :
— Mon porte-monnaie ! V ous m'avez volé mon porte-monnaie ? V ous ? V ous, le fonctionnaire des Finances ? V ous êtes sacrement gonflé !
— Fonctionnaire des Finances ? Ah oui, c'est vrai… Je vous ai dit ça…
Il soupira et moi, furieuse, j’ai rétorqué :
— Ah, parce qu'en plus d'être un voleur, vous êtes un menteur !
— Non, je ne vous ai pas menti, je travaille au Ministère des Finances. Si seulement, vous aviez pris la peine de lire ma carte de visite, vous en auriez eu la confirmation. Dites, même si vous refusez de me revoir, je voudrais au moins vous rendre votre bien. Votre heure sera la mienne. Voyons, il est tout juste neuf heures, que faites-vous aujourd'hui ? Seriez-vous par bonheur, libre à déjeuner ?
Je restai bouche bée. Que devais-je faire ? Ou plutôt non, le mot devoir n'avait pas sa place pendant deux jours encore, qu'avais-je envie de faire ? Je me sentais envahie de pensées contradictoires. Bien sûr, j'avais envie de le revoir, mais par ailleurs, c’était compliqué et cela le serait encore davantage quand je ne serai plus seule. Alors à quoi bon ? Comme je ne disais rien, il insista et proposa galamment :
— Vous ne dites rien ? Préférez-vous que je vous fasse porter votre porte-monnaie chez vous ?
J'éprouvai un soulagement soudain à l'idée de ne pas avoir de décision à prendre. Pourtant, je gardai un zeste d'incrédulité devant un tel désintéressement et maladroitement, je répétai :
— C'est vrai ? V ous pourriez ?
— Mais bien sûr, rien de plus facile ! Mais sachez que je préférerai de beaucoup vous le
remettre moi-même. Si vous acceptez de déjeuner avec moi, je vous promets de ne faire aucun
geste qui pourrait vous embarrasser.
Je sentais les battements de mon cœur s'accélérer... Embarrasser … Ce mot ! ce mot qui, à une consonne et une voyelle près, ce mot presque semblable à embrasser !
Que faire ? Plus que deux jours ! Deux ultimes jours de liberté et c'en serait fini de mes journées sans horaire, sans contrainte. Deux jours où je pouvais dire oui ! Plus que deux jours à tenir bon. Non, ce serait non. Je m'armai de fermeté pour lui répondre :
— Non, je ne peux pas, je suis désolée. De toute façon, si je vous disais oui, il y aurait des
risques que d'ici l'heure du déjeuner, je change d'avis et vous pourriez vous retrouver seul dans
le restaurant.
— Je prends le risque, dites-moi oui, je vous en prie !
Je sentais la chaleur s'accumuler sur mes joues, j'avais vraiment peur de craquer devant son insistance, alors, brusquement, je raccrochai. Je m'écroulai sur une chaise et pris ma tête dans les mains. La sonnerie stridente du téléphone déchira mes oreilles, je résistai, pressai mes mains sur mes oreilles, les yeux fixés sur la photographie de mon denier fils ; le téléphone sonna et resonna sans fin, puis le bruit strident cessa. Le silence retomba sur l'appartement.
9Plus tard, on sonna à l'interphone, et avant de répondre, je consultai l'heure, onze heures, ce
ne pouvait être lui, je répondis, j'entendis une voix étrangère :
— J'ai quelque chose à vous remettre de la part de monsieur Delclos.
—Monsieur Delclos ? Mais je ne connais personne qui porte ce nom!
— Monsieur Delclos a trouvé un objet qui vous appartient au jardin du Luxembourg. Il n'a pas eu le temps de le déposer dans un commissariat, vous pouvez imaginer qu'avec ses responsabilités, il est très occupé, aussi m'a-t-il chargé de vous le rapporter.
Cette fois, j'appuyai sur le bouton, tout en indiquant :
— Quatrième étage.
Quelques minutes après, il sonnait à la porte d'entrée, j'ouvris immédiatement, et me retrouvai en face d’un motard, le casque à la main. Il me remit un paquet que je pris en le remerciant, puis, je refermai la porte. Je m’assis sur un fauteuil, émue malgré moi. Je déchirai le papier d'emballage et découvris une superbe boîte de chocolats et mon porte-monnaie ainsi qu'un petit mot écrit sur une carte de visite professionnelle Je tournai et retournai la carte, je lus sans y croire :
Monsieur Marc Delclos
Ministre de l 'Économie et des Finances
Ce sera quand vous vous voudrez, où vous voudrez, si vous voulez.
Bien à vous.
Marc Delcos
Ministère de l ' Économie et des Finances
139 rue de Bercy
75012 PARIS
Secrétariat : 01 40 04 04 …
Ligne directe : 01 40 04 04 . . Portable : 06 75 32 26…
Il me fallut un peu de temps pour assimiler la nouvelle incroyable. Alors comme ça, j'avais rencontré le Ministre de l'Économie et des Finances en personne et il m'avait presque suppliée de le revoir ! Maintenant que j'y repensais, je me souvenais que sur le moment, je m'étais dit que j'avais déjà vu cet homme quelque part. Je souris de plaisir, voilà qu'un Ministre s'intéressait à ma petite personne !
Oui, évidemment, il avait une réputation de séducteur, cette histoire notamment qui courait dans les cercles bien informés ... Devant des témoins, sa légitime avait giflé sa maîtresse dans le cadre d'un club de sports renommé.
Sans m’autoriser à réfléchir, je rédigeai un message :
Merci pour mon porte-monnaie.
Je vous donne mon accord pour un dîner, ce soir.
Capucine M.
J’appuyai sur envoi…
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