94 ROSES : ÉPISODE 14, RENDEZ-VOUS AVEC LE MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

 

Rue Rostropovitch

ÉPISODE 14 : RENDEZ-VOUS AVEC LE MINISTRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

 

Inès forma le numéro de portable communiqué par Corentin, son ancien collègue de la DGSE et attribué au Ministre de l’Enseignement supérieur. Les sonneries s’égrenèrent puis le répondeur s’enclencha, le Ministre qui se disait si pressé d’avoir sa réponse n’avait plus son téléphone à portée de main. La détective laissa le message suivant :

Bonsoir Monsieur le Ministre, Inès Benlloch à l’appareil. Je vous donne mon accord pour le rendez-vous que vous m’avez proposé, demain, à huit heures à l‘agence, rue Rostropovitch.  

Eh bien, cette fois, elle n’avait plus rien à faire. Elle quitta l’agence et revint chez elle. 

Le lendemain matin, elle était en forme et c’est l’esprit clair qu’elle arriva à son bureau. Il était exactement 7 heures moins dix. Elle prépara du café. La sonnette retentit à huit heures pile, Inès appuya sur le bouton de l’interphone puis elle sortit sur le palier pour accueillir son visiteur. 

Le Ministre avait emprunté l’escalier. Il s’avança vers elle, ils se saluèrent et elle le fit pénétrer dans son bureau. Elle prit place sur un des trois fauteuils du coin salon et elle invita le Ministre à s’assoir. Ils restèrent quelques minutes sans parler et la détective en profita pour observer l’homme qu’elle avait en face d’elle. Il était conforme aux photos qu’elle avait eues en main, c’était vraiment un très bel homme. Plutôt grand, sa silhouette était élancée et musclée, elle avait remarqué que sa démarche était souple comme celle d’un chat. Maintenant qu’il était assis, elle pouvait voir son abondante chevelure brune et ses yeux noisette, plus clairs que sur les photos où elle les avait crus noirs. Des petits éclairs verts les faisaient scintiller, son nez était droit, fin et très légèrement busqué, la peau de son visage était lisse et tendue sur les pommettes saillantes. Les années ne semblaient pas avoir prise sur lui. Elle n’aurait pas connu son âge qu’elle se serait trompée et lui aurait attribué tout au plus une petite trentaine. Il devait avoir beaucoup de succès auprès de la gente féminine… Elle lui servit une tasse de café qu’il but à petites gorgées puis quand sa tasse fut vide, il expliqua les raisons qui l’avaient poussé à demander ce rendez-vous : 

— Je souhaite vous confier une enquête sur le meurtre de Laurence Devieille. Pour tout vous dire, je la savais menacée, j’avais peur qu’il ne lui arrive quelque chose et je la faisais discrètement surveiller depuis quelques semaines. 

— Je ne comprends pas, comment et par qui aviez-vous appris qu’elle était en danger ?

— Je connais Laurence depuis très longtemps, nous sommes sortis ensemble pendant deux ans et à l’époque, je pensais que nous ferions notre vie ensemble. Elle en a décidé autrement et elle a rompu. J’ai beaucoup souffert et j’ai mis très longtemps à me remettre. Je n’ai jamais pu l’oublier mais je me suis jeté dans le travail et depuis que je suis Ministre, j’ai très peu de temps disponible pour penser. Ce n’est pas plus mal. Pourtant, son assassinat a justifié mes pressentiments. J’avais très peur pour elle, je savais qu’elle exerçait un métier dangereux et qu’à tout moment, un drogué pouvait l’agresser. 

Inès Benlloch n’hésita pas :

— Pourquoi la faisiez-vous surveiller lors de ses joggings ?

— Parce que je pensais que le jogging correspondait au moment de sa journée où elle était la plus vulnérable. 

— Je dois vous dire que Laurence Devieille m’a consultée avant son agression. Elle se savait surveillée. Elle m’avait demandé de découvrir par qui et elle vous soupçonnait.

Donatien Donato dit d’un sourire triste :

— Vous avait-elle expliqué pour quelles raisons, elle me soupçonnait ? 

— Elle m’avait dit qu’autrefois, vous aviez eu des difficultés à accepter l’arrêt de votre liaison.

— C’est exact, j’ai beaucoup souffert. J’ai adoré Laurence, elle avait tout pour elle, elle était belle, intelligente et tellement gaie. Une seule chose me troublait à l’époque, c’était son choix d’études. Je ne comprenais pas qu’elle veuille devenir psychologue clinicienne et qu’elle s’intéresse autant aux déglingués, à ceux qui ne peuvent accepter la société telle qu’elle est. Nous étions si différents. Moi, j’étais tourné vers le monde extérieur et elle vers le monde intérieur. Ce qui l’intéressait était de découvrir le fonctionnement mental des gens qu’elle rencontrait et elle était excellente à ce jeu.  

— Quand vous dites que vous avez mal supporté la séparation, cela signifie-t-il que vous avez essayé de la faire changer d’avis ? 

— Oui et pas qu’une fois. Je suis revenu à la charge pendant des mois. J’avais gardé le pass pour entrer dans son immeuble, je sonnais à sa porte en espérant qu’elle allait céder et enfin m’ouvrir. Un an jour pour jour après notre séparation, elle a ouvert grand la porte et j’ai constaté qu’elle n’était pas seule. Elle n’était pas habillée et son visiteur non plus. J’avais apporté des croissants et du café chaud dans une thermos, j’ai tout fait tomber et je me suis enfui. Je les ai entendus éclater de rire pendant que je dévalais l’escalier. Je suis rentré chez moi et j’ai pleuré jusqu’à ce que mes yeux soient secs. J’ai perdu l’appétit, j’ai fait une grave dépression et mes parents m’ont fait hospitaliser. Je suis resté trois mois en service de psychiatrie et à la sortie, je n’étais pas brillant et je n’étais pas guéri car je voulais encore la revoir. Je répétais qu’elle était la femme de ma vie, que jamais je n’en aimerais une autre. Mes parents étaient catastrophés. Côté études, j’avais perdu mon année, j’ai redoublé mon master d’administration publique à Sciences Po Paris mais peu à peu, je me suis accroché et j’ai brillamment terminé. L’année suivante, j’ai intégré la préparation à l’ENA et j’ai été reçu au concours d’entrée. Ensuite, j’ai un peu, comment dire, oublié Laurence, mais pas réellement, car je continuais à penser à elle mais j’étais très pris par mon stage puis par les cours. J’ai travaillé comme une brute, je voulais sortir dans les premiers afin de l’éblouir. C’est bête, mais je lui ai envoyé mon rang de sortie, elle ne m’a pas félicité et n’a pas cherché à entrer en contact avec moi. Ma joie d’avoir aussi bien réussi en a été très atténuée. Ensuite, j’ai commencé la tournée à l’inspection des Finances. J’ai bien aimé ces années-là, on change de ville et à chaque fois on vérifie une administration différente. Toutes les structures qui dépendent de l’État à un titre ou à un autre sont susceptibles d’être contrôlées par l’inspection. Trésorerie, caisse d’épargne… On arrive par un beau matin, à l’ouverture des bureaux, parfois le responsable n’est pas encore là. Je peux dire que ma présence provoquait un mouvement de panique ou tout au moins de peur. Je m’installais pour quelques semaines, et je commençais à dépouiller les livres de compte. On trouve toujours quelque chose. C’est un peu comme la chasse, quand vous partez, vous ne savez pas quel animal vous allez tirer et bien là, vous ne savez pas trop quel lièvre vous allez soulever. 

Inès Benlloch était impressionnée. Ainsi, il semblait que cet homme soit resté amoureux de Laurence Devieille pendant des années après leur séparation. Il ne parlait pas d’une autre relation, était-il resté seul pendant tout ce temps ? Elle n’osa pas poser la question et préféra en revenir à la mission qu’il souhaitait lui confier :    

— Bien, vous me disiez en arrivant que vous aviez l’intention de me confier une mission d’enquête sur le meurtre de Laurence Devieille ? 

— Oui, c’est la raison pour laquelle je suis ici.

— Je ne suis pas certaine que vous ayez intérêt à le faire, cela se saura, certains s’étonneront de votre demande. Vous serez probablement mis en cause par les médias.

— Je sais mais ce serait le cas même si je ne faisais rien. Je ne me fais aucune illusion, notre histoire va sortir un jour ou l’autre et en conséquence, je serai mis en cause. C’est tellement pratique de soupçonner le compagnon, l’amant ou l’ancien petit ami… Cela simplifie les enquêtes. Mais je peux vous affirmer que je ne suis pas le meurtrier de Laurence Devieille. Certes, je continuais à l’aimer et c’était à cause de cet amour que je cherchais à la protéger. Cependant, je voulais avant tout la savoir heureuse. Ces derniers temps, elle avait un ami que je trouvais bien, un de ses voisins, marié malheureusement et d’ailleurs je me demande si sa femme n’est pas partie prenante dans ce crime. 

— Elle n’était pas à Paris au moment du meurtre, mais lui si, il a effectué un aller-retour Sanary-Paris et il peut être inculpé. 

— Je sais, je me suis renseigné. 

— Il faudra me donner tous les détails de votre vie actuelle, les relations que vous entretenez, le nom des personnes qui gravitent autour de vous.

— Je le ferai même si je pense que vous perdrez votre temps. Pour moi, il faut chercher du côté de ses patients ou de certains de ses voisins… Je me suis fait transmettre leurs fiches et je vous en donnerai connaissance. 

— Oui, ce sera intéressant même si pour ma part, il paraît difficile que l’un d’entre eux soit impliqué. Bien, par quel biais souhaitez-vous que je vous tienne au courant ?

— Vous avez le bon numéro de téléphone, il est strictement personnel et je ne m’en sers jamais pour mon travail. Vous pouvez me joindre de jour comme de nuit. Par ailleurs, pour aborder un problème pratique, vos conditions de rémunération seront les miennes, vous m‘enverrez une facture mais je vais d’ores et déjà vous verser une provision. La somme de 10 000 euros vous semble-t-elle suffisante ?

Inès s’attendait à 5 000 euros, mais elle décida de ne pas refuser, car après tout Laurence Devieille n’avait pas pu régler sa note d’honoraires et elle aurait à indemniser Leonora Quesado.

— Oui, ce sera parfait, je vous enverrai mon RIB. Bien, je vais vous raccompagner, vous êtes venu par quel moyen de transport ?

— À pied, je pratique le jogging moi aussi et je courais autrefois avec Laurence. Je m’étais inscrit au marathon de New York et je sais qu’elle aussi avait l’intention d’y participer. 

Inès Benlloch fut interloquée par cette remarque. Décidément cet homme n’avait jamais lâché les baskets de Laurence Devieille. Elle était sur le point de la plaindre quand il lui revint que la pauvre femme était morte et morte assassinée. Elle retint une remarque et raccompagna son visiteur jusqu’à la porte de l’ascenseur. Quand il eut disparu, elle courut jusqu’au balcon et en se penchant, elle découvrit la voiture noire qui attendait en bas de l’immeuble. Elle vit le Ministre monter à l’arrière, il était donc venu avec son chauffeur et sa voiture de fonction. Elle en fut étonnée, elle pensait qu’il souhaitait garder son rendez-vous secret… 


À Suivre… Prochain épisode, Dimanche 11 septembre 2021 …

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